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La Cour constitutionnelle valide la possibilité pour les juridictions d’instruction de siéger au sein même des prisons

Est-il concevable qu’un juge siège en prison ? La Cour constitutionnelle vient de l’admettre, s’agissant des juridictions d’instruction.

Une loi contestée et un arrêt contestable, selon Martin Aubry, avocat, et Delphine Paci, avocate et présidente de la section belge de l’Observatoire international des prisons.

1. Les articles 159 à 161 de la loi du 25 avril 2014 ‘portant des dispositions diverses en matière de justice’ ont modifié les articles 76, § 5, et 101, § 3, du Code judiciaire pour permettre aux juridictions d’instruction (Chambre du conseil et Chambre des mises en accusation) de décider de siéger au sein des prisons et non plus seulement au sein du Palais de justice, comme c’était le cas jusqu’à présent.

2. Les juridictions d’instruction ont notamment pour tâche de statuer sur le mandat d’arrêt et le maintien en détention préventive des personnes, bénéficiant de la présomption d’innocence à ce stade, sous le coup d’une procédure d’instruction. La Chambre du conseil statue quant à la nécessité de ce maintien en détention, la Chambre des mises en accusation faisant office dans ce cadre de juridiction d’appel. Selon les travaux préparatoires de la loi, la possibilité de siéger en prison pour ces juridictions est prévue dans un but de sécurité et doit être utilisée de manière exceptionnelle.

3. Cette loi a fait l’objet d’un recours en annulation partielle devant la Cour constitutionnelle par notamment l’« Orde van Vlaamse balies », l’Ordre des barreaux francophones et germanophones et la Ligue des Droits de l’Homme, portant sur les articles susmentionnés. Ce recours arguait notamment que le fait de siéger en prison pour ces juridictions portait atteinte au principe de l’impartialité du juge, au droit d’être entendu publiquement et à la présomption d’innocence.

4. Dans un arrêt n° 3/2016 du 14 janvier 2016, la Cour constitutionnelle considère que la possibilité pour les juridictions d’instruction de siéger en prison n’est pas contraire aux principes cités ci-avant si cette possibilité est exercée conformément à l’interprétation des travaux préparatoires de la loi du 25 avril 2014.

5. Premièrement, la Cour considère que l’impartialité du juge n’est pas atteinte car la possibilité de siéger en prison est limitée aux audiences sur le maintien de la détention préventive, à l’exclusion des audiences concernant le règlement de la procédure, c’est-à-dire celles marquant la fin de l’instruction et un éventuel renvoi devant une juridiction de fond. Cette limitation a été prévue afin d’éviter aux parties civiles, souvent présentes lors de ce règlement de la procédure, « l’expérience éprouvante » de pénétrer dans une prison (Doc. Parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2443/3, p. 48 et l’arrêt en cause, B.11.1).

Si ce point de vue ne peut qu’être suivi, il nous parait regrettable que la vision de la personne détenue, toujours présumé innocent à ce stade, n’ait pas été envisagée. Celle-ci, déjà privé de sa liberté, ne pourra plus dans certains cas présenter ses moyens de défense, concernant sa détention, devant une juridiction située à l’extérieur du milieu carcéral, dans le lieu d’avantage neutre qu’est un Palais de justice.

6. La juridiction constitutionnelle expose ensuite que, selon les travaux préparatoires, les salles d’audience prévues dans les nouvelles prisons se situeront au bord du périmètre de sécurité, dans la partie de la prison où est établie l’administration pénitentiaire. Dès lors, les juridictions d’instruction ne siègeraient pas réellement en prison mais tout simplement dans un lieu très proche géographiquement.

Force est de constater le caractère peu consistant de cet argument. En effet, une partie administrative et extérieure de la prison reste bien, par définition, un élément de l’établissement pénitentiaire.

7. La Cour considère également que la possibilité pour le juge de siéger en prison est limitée, toujours par les travaux préparatoires (la disposition législative s’exprimant de manière générale), à des cas exceptionnels. Il ne serait pas question de siéger de manière régulière en prison. Bien au contraire, cette délocalisation géographique du tribunal devrait se limiter à des situations où des risques en matière de sécurité se posent, les exemples du grand banditisme et du terrorisme étant énoncés. Une fois de plus, selon la Cour constitutionnelle, la décision préalable de siéger à la prison n’affecterait pas l’impartialité du juge.

Cette argumentation ne nous apparait que très peu convaincante. Outre le fait que cette interprétation des travaux préparatoires de la loi pourrait ne pas être suivie, il faut reconnaitre que le juge présente dans ce cas une opinion, préalable et défavorable, sur la situation du détenu en cause.

Décidant de déplacer son siège vers la prison en raison de la dangerosité particulière représentée par le prévenu concerné, il affirme en quelque sorte avant même l’audience que la personne en cause justifie un traitement spécial, ne permettant pas son transfert « normal » vers le Palais de justice. Contrairement à ce qui est affirmé par la Cour constitutionnelle, cette décision préalable nous semble bien démontrer que le juge possède dans ce cas un a priori défavorable concernant l’inculpé mettant de ce fait en cause l’impartialité de l’ordonnance confirmant ou infirmant la privation de liberté qui devra être rendue. Si le juge pense d’ores et déjà à ce stade que la personne concernée ne peut être transférée en raison de risques de sécurité élevés, est-il réellement concevable de penser qu’elle pourrait être libérée par ce même magistrat ? L’hypothèse nous parait très peu probable, si pas fantaisiste.

8. Au-delà des critiques précises qui peuvent être adressées à l’égard de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, une question symbolique se pose évidemment de manière fondamentale. Si le Palais de justice est un lieu externe, pouvant être vu comme « indépendant », le déplacement du juge vers la prison pour statuer concernant le maintien de la personne en cause au cœur de l’établissement pénitentiaire nous parait poser un grave problème de principe.

L’inculpé, poursuivi par des organes du pouvoir exécutif que sont la police et le parquet, devrait en outre voir rendre la justice concernant sa détention préventive dans l’établissement carcéral, faisant partie par essence du même pouvoir exécutif. Le sentiment de justice (que, dans un monde idéal, la personne détenue devrait aussi ressentir dans une certaine mesure) et l’apparence d’indépendance de l’institution judiciaire ne peuvent qu’en souffrir. Or, il nous parait que la justice, au-delà des contraintes d’efficacité pratique, doit demeurer soumise à une symbolique forte. Gageons dès lors que cette nouvelle possibilité ne devrait pas améliorer le ressenti de certains détenus concernant notre appareil judiciaire…

9. Ce problème de symbolique se double d’inconvénients logistiques majeurs pour les personnes détenues.

Leurs avocats doivent quotidiennement assurer la défense de divers clients dans le cadre d’audiences se déroulant souvent en même temps devant différentes juridictions. Actuellement, ces audiences se déroulent en principe au même endroit et engendrent déjà une organisation compliquée afin d’assurer la défense des personnes concernées au mieux. Le déplacement des audiences concernant les personnes détenues dans des lieux éloignés du Palais de justice entrainera tout simplement l’impossibilité pour les avocats de se présenter durant cette période devant d’autres juridictions. Il faudra choisir : soit se déplacer à la prison, soit assurer les audiences situées au Palais de justice, avec le risque que le détenu soit souvent défendu par un autre avocat que celui qu’il a choisi.

Ce problème de logistique se posera également au niveau des juges d’instruction. Le juge d’instruction se doit en effet d’être présent lors des audiences des juridictions d’instruction, afin de faire rapport concernant l’état d’avancement de l’enquête. Au vu des agendas très chargés de ces juges, il parait plus que probable que, si plusieurs détenus doivent passer devant une juridiction d’instruction se tenant en prison, un seul d’entre eux se déplacera afin de représenter les autres durant l’ensemble de l’audience. Sur ce point-là aussi, l’efficacité de notre justice devrait souffrir. Certains des détenus ne verront ainsi plus le juge d’instruction en charge de leur dossier, et donc le plus à même de rendre compte efficacement de la situation de celui-ci…

10. Les considérations sécuritaires semblent malheureusement avoir été mises en avant, au détriment du pouvoir symbolique fort qu’est la justice rendue dans le lieu privilégié du Palais de justice.

Au vu des différents points, tant juridiques que pratiques, exposés ci-dessus, force est de constater que cette modification du Code judiciaire et l’arrêt de la Cour constitutionnelle y afférent ne vont certainement pas dans le sens d’une amélioration de notre justice en général et de la condition des personnes détenues des prisons belges en particulier…

par Martin Aubry, Delphine Paci, le 21 mars 2016.

Source : Justice en ligne