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Le Baromètre de la Justice : une confiance à restaurer

À l’heure où le clivage entre le monde judiciaire et le monde politique est plus marqué, La Libre Belgique et la RTBF ont sondé plus de 1.000 personnes pour tenter de mesurer la confiance des citoyens envers l’institution judiciaire. Les premiers commentaires figurent dans l’article publié par La Libre, auquel nous renvoyons : cliquer ici.

Mais en voici d’autres, de la plume de Bénédicte Inghels, conseiller à la Cour d’appel de Mons et maître de conférences invitée à l’Université catholique de Louvain.

1. À la question « Avez vous confiance en la Justice », 53 % des personnes interrogées répondent par la négative.

C’est interpelant, plutôt étonnant, au regard du Baromètre de la Justice réalisé en 2014 par le Conseil supérieur de la Justice, qui créditait encore cette institution de 61 % de personnes satisfaites en général. L’ampleur du sondage réalisé à la requête du CSJ était cependant tout autre, et le contexte des actions fort médiatisées de la magistrature a sans doute eu un impact sur ces résultats. Les sources du mal-être sont étudiées dans l’article. Trois d’entre elles méritent d’être isolées.

2. Sans surprise, le coût d’accès à la justice suscite plus de réactions négatives (68 %) : la fracture entre les très riches ou les très pauvres, bénéficiant de l’aide juridique, et la majorité des citoyens s’y retrouve.

On ne dénoncera pas assez les moyens insuffisants alloués à l’aide juridique, mais sans doute n’est-ce pas là que se situe le véritable problème puisque ce système permet malgré tout aux plus démunis de bénéficier de l’assistance d’un avocat.

Mais les classes intermédiaires sont durement affectées par diverses mesures récentes. Depuis l’augmentation des indemnités de procédure (c’est-à-dire la somme d’argent payée par le perdant d’un procès au gagnant, censée l’indemniser forfaitairement pour les frais d’avocat que ce dernier a exposés), qui ose entamer un procès ou interjeter appel sans prétendre y voir un frein ? Depuis l’introduction de la TVA sur les prestations d’avocats, au taux de 21 %, c’est un luxe désormais de recourir aux services d’un professionnel du droit pour être aidé dans les dédales d’une procédure.

Bien sûr, l’on sait que le gouvernement planche sur un projet de protection juridique : le recours à l’assurance plutôt qu’à la mutualisation du risque est un choix politique qu’il ne nous appartient pas de commenter. Son aboutissement permettra sans doute à bon nombre de familles d’y souscrire, pas toutes, mais combien de temps perdu avant cette mise sur pied qui détournera hélas un nombre croissant de personnes de l’institution judiciaire.

3. L’informatisation de la justice est le deuxième grief majeur retenu par les sondés.

Certes, ils ne travaillent pas tous les jours sur les vieux ordinateurs alloués aux membres des greffes ou de la magistrature mais la campagne d’information précédant les actions du monde judiciaire du 7 juin 2016 a sans doute porté ses fruits. L’obsolescence du matériel informatique est indigne d’une institution fédérale : n’importe quelle PME bénéficie d’un outil plus récent, n’importe quelle multinationale travaille aux quatre coins du monde en réseau. Pauvre Justice belge sur ce plan. Que de temps gagné si un système efficace, performant et globalisé permettait un suivi en ligne d’un dossier et une accélération de son traitement.

Les solutions ne viendront pas que de l’outil informatique. Gardons nous de prêcher en faveur d’une intelligence artificielle qui viendrait déshumaniser un peu plus les litiges qui sont soumis aux cours et tribunaux. Les discours stéréotypés de certains prêcheurs du web effraient au lieu de séduire. Leur vocable numérisé ne va pas à la rencontre des gens, les initiés peuvent sourire, le citoyen est défait de sa peau d’humanité. À l’intelligence artificielle, préférons l’intelligence émotionnelle. Ce n’est pas cette informatisation là qui restaurera la confiance dans la Justice mais la mise en place d’un outil adapté et efficace qui soutiendra le travail des magistrats, des greffiers, des avocats et leur permettra de dégager du temps pour un véritable accueil des hommes et des femmes qui s’adressent à eux.

4. Cette informatisation devrait accélèrer le délai de traitement des dossiers, gageons le, ce qui constitue le troisième grief souligné par les personnes interrogées.

S’il est vrai que de nombreuses juridictions ont à présent résorbé leur arriéré judiciaire, d’autres comme à Bruxelles le subissent encore et cette pyramide occulte les efforts consentis par tous ceux qui y travaillent inlassablement et en souffrent autant que les citoyens.

Mais oserais-je tenir un discours iconoclaste : le véritable enjeu n’est peut être pas là non plus ? Bien sûr, le temps du judiciaire n’est pas forcément celui que supportent encore les justiciables. Les délais pour mettre en état un dossier, c’est-à-dire pour que chaque partie puisse faire valoir son point de vue par écrit, en respectant les droits de défense des autres parties, ce délai peut sembler insupportable pour qui s’endort chaque soir avec son procès comme une épée de Damoclès. Attendre six mois qu’un dossier soit plaidé alors que les disputes avec son voisin sont incessantes, alors qu’une pension alimentaire est réclamée, alors qu’une facture est impayée, c’est une injustice. Il est sans doute possible d’instaurer des procédures plus rapides, moyennant le respect des principes de contradiction et de droits de défense évoqués. C’est possible et il faut envisager cette question, sans tabou, avec les meilleurs spécialistes de la procédure.

Et pourtant... Dans une société de l’urgence, le temps ne confère-t-il pas parfois à la Justice une vertu d’apaisement ? Combien de dossiers plaidés dans la passion et la violence en référé trouvent une tonalité plus juste, voire une solution négociée, après quelques mois, lorsque les plaideurs se retrouvent devant le juge du fond ou la cour d’appel ?

Ne conviendrait il pas que chacun, avocats et magistrats, nous permettions de rechercher l’or du temps, pour citer André Breton, lors de nos rencontres avec ces hommes et ces femmes qui ont soif de justice. Car, s’il est un temps qui use et affaiblit, il est un autre temps qui apaise, une seconde pensée qui éclaire la première d’un jour nouveau, des heures du soir qui par les ombres qu’elles confèrent laissent entrevoir de nouveaux contours. Et toute la qualité de la Justice sera de traiter dans l’urgence ce qui requiert célérité et de donner le temps au procès qui demande cette maturation.

5. Pour retrouver la confiance, ce sentiment d’apaisement, de sécurité, de stabilité que devrait être la Justice, ne convient-il pas en somme de la doter des moyens de simplifier et rendre plus efficientes les procédures pour, parfois, prendre le temps, ce temps véritable de l’écoute, de la compréhension et de l’explication. C’est aussi un pari pour la Justice demain.

Par Bénédicte Inghels, le 26 juillet 2016

Source : http://www.justice-en-ligne.be/article910.html