Trop peu de personnes connaissent l’existence et les missions des Commissions de surveillance des différentes prisons du Royaume, qui, pourtant, ont notamment pour mission de contrôler la manière dont les détenus sont traités au sein de nos établissements pénitentiaires et qui peuvent donc offrir un réel soutien aux détenus et à leurs familles.
Réginald de Béco, avocat spécialiste en droit pénal et en droits de l’homme, ancien président de la Commission Prisons de la Ligue des droits de l’homme, connaît bien ces commissions pour avoir été président de celle de la prison de Forest-Berkendael à Bruxelles de 2006 à 2015.
Ses explications, ci-après, viennent donc à point nommé.
1. La vie en prison est faite d’une multitude de problèmes insurmontables qui empoisonnent la vie des détenus. Pouvoir rencontrer en cellule, en toute confidentialité, quelqu’un de bienveillant, qui est à votre écoute et tentera de trouver une solution, est une réelle éclaircie dans ce monde des ténèbres.
Tel est fondamentalement le rôle des Commissions de surveillance des prisons. Les détenus ou leurs avocats peuvent y faire appel pour les aider à faire face aux nombreux incidents ou difficultés auxquels ils sont confrontés.
2. Ces Commissions sont instituées par la loi de principes du 12 janvier 2005 ‘concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique (interne) des détenus’, au titre III (« Des prisons »), chapitre IV (« De la surveillance »), qui n’est malheureusement toujours pas entré en vigueur.
En attendant, l’arrêté royal du 4 avril 2003, qui a inséré un titre III (« Inspection et surveillance ») dans l’arrêté royal du 21 mai 1965’portant règlement général des établissements pénitentiaires’, modifié par l’arrêté royal du 29 septembre 2005, a prévu dans chaque prison une Commission de surveillance dont les membres sont des volontaires, bénévoles, totalement indépendants tant du ministre de la Justice que de l’administration pénitentiaire et de la direction de la prison.
3. L’article 138bis de cet arrêté royal du 21 mai 1965 dispose que « Le Ministre de la Justice institue une commission de surveillance auprès de chaque prison. En cas de proximité géographique entre deux ou plusieurs prisons, une même commission de surveillance peut être compétente ».
L’article 138ter précise sa mission : « La Commission de surveillance a pour mission : 1° d’exercer un contrôle indépendant sur la prison auprès de laquelle elle a été instituée, sur le traitement réservé aux détenus et sur le respect des règles les concernant ; 2° de soumettre au Ministre et au Conseil central de surveillance pénitentiaire, soit d’office, soit sur demande, des avis et des informations concernant des questions, qui, dans la prison présentent un lien direct ou indirect avec le bien-être des détenus, et de formuler les propositions qu’elle juge appropriées ; 3° de rédiger annuellement pour le Conseil central de surveillance pénitentiaire un rapport sur tout ce qui concerne le traitement réservé aux détenus et le respect des règles en la matière dans la prison pour laquelle elle est compétente ».
En ce qui concerne les pouvoirs de la Commission de surveillance, ceux-ci sont clairement définis à l’article 138quater :
« § 1er. Pour autant que cela soit nécessaire à l’accomplissement de leurs missions définies à l’article 138ter, les membres de la Commission de surveillance ont librement accès à tous les endroits de la prison et ont le droit de consulter sur place, sauf exceptions prévues par la loi, tous les livres et documents se rapportant à la prison et, moyennant [un] accord écrit préalable du détenu, toutes les pièces contenant des informations individuelles le concernant.
§ 2. Ils ont le droit d’entretenir une correspondance avec les détenus sans être contrôlés et d’entrer en contact avec eux sans être surveillés.
§ 3. Le président de la Commission de surveillance rencontre le conseiller-directeur de prisons de la prison une fois par mois ainsi que chaque fois que des circonstances particulières le requièrent ».
4. La composition des Commissions de surveillance est fixée à l’article 138quinquies : « § 1er. Chaque Commission de surveillance se compose de six membres au moins et de douze membres au plus, dont au moins : 1° un membre de la magistrature assise ; 2° un avocat ; 3° un médecin.
§ 2. Le Ministre désigne un membre en qualité de président et un membre en qualité de vice-président […].
§ 2. Les membres sont nommés par le Ministre de la Justice sur la proposition du Conseil central de surveillance pénitentiaire et sur l’avis du président de la Commission de surveillance. Ils sont nommés sur la base de leur compétence ou de leur expérience en rapport avec les missions sont confiées à la Commission de surveillance.
§ 3. Les membres de la Commission de surveillance ne peuvent être âgés de plus de septante ans au début du mandat ou du renouvellement du mandat. Au moins deux membres doivent être âgés de moins de cinquante ans au début de leur mandat.
§ 4. Pendant la durée du mandat, l’appartenance à la Commission de Surveillance est incompatible avec : 1° l’appartenance au Conseil central de surveillance pénitentiaire ; 2° l’exercice d’une fonction auprès de la Direction générale Exécution des Peines et Mesures du Service public fédéral Justice ou l’exécution d’une mission pour celle-ci ; 3° l’exercice d’une fonction de juge d’instruction ; 4° l’exercice d’une fonction de magistrat de parquet ; […] ».
5. L’article 138octies précise que « § 1er. La Commission de Surveillance se réunit au moins une fois par mois ; […]. § 2. Un ou plusieurs membres de la Commission de Surveillance sont chargés à tour de rôle, pendant un mois et à raison d’au moins une fois par semaine, de visiter en qualité de commissaire d[u] mois le ou les prisons auprès desquelles la Commission est établie ».
6. Les détenus peuvent faire appel en toute confidentialité à la Commission de surveillance ou au Commissaire du mois en déposant une demande de visite ou un mot à leur intention dans les boîtes aux lettres fermées et spécialement réservées à cet effet dans chaque aile de la prison et au parloir des avocats.
Le Commissaire du mois peut, quand il le souhaite, librement circuler dans les ailes, même s’il y a un mouvement, quel qu’il soit. Il peut accompagner à distance les agents pénitentiaires lors d’une mise au cachot ou d’un transfert d’une cellule à l’autre. Il a le droit de demander à tout moment au chef de quartier, responsable d’une aile, de pouvoir visiter un détenu dans sa cellule ou un détenu au cachot, sans devoir en donner le motif.
Il peut s’entretenir avec qui il veut, détenu, agent pénitentiaire, employé du greffe ou de la comptabilité, membres du service psycho-social (SPS), psychiatre, médecin, infirmier, aumônier ou membre de la direction de la prison.
Le Commissaire du mois tente de régler les innombrables problèmes qui lui sont soumis en intervenant directement auprès des chefs de quartiers et des assistants pénitentiaires ou en alertant la direction. Ainsi, par exemple : conditions de détention indignes, cachot insalubre, manque de nourriture, de boisson ou de chaleur, détenu asthmatique en cellule avec des fumeurs, manque de chaises, de tables ou de matelas, problèmes aux sanitaires ou aux douches, incompatibilités d’humeur entre codétenus qui risquent de déboucher sur des conflits, violences entre détenus ou commises par des agents pénitentiaires, impossibilité de téléphoner à l’extérieur ou de recevoir des visites, perte de travail, incidents de tous ordres, etc. Lorsque le problème est d’ordre plutôt structurel, il en fait part dans son rapport à la Commission qui sera examiné à la réunion du mois et le président de la Commission interpellera le ou les directeurs lors de sa réunion mensuelle avec eux.
7. La Commission de surveillance garantit aux détenus qu’elle visite la confidentialité des entretiens du Commissaire du mois avec eux, à moins qu’ils ne demandent formellement que leurs plaintes ou leurs requêtes soient portées au personnel pénitentiaire ou à la direction.
Elle alerte la direction de la prison sur tous les dysfonctionnements qu’elle constate ou sur le non respect des droits des détenus, des lois ou règlements qui les concernent.
8. Inutile de dire que les membres des Commissions de surveillance ne sont pas toujours bien vus – c’est un euphémisme – par les agents pénitentiaires et même, parfois, par certains directeurs de prison. Ils sont vécus comme étant « l’œil de Moscou » ou, plus exactement, des droits de l’homme, qui viennent les surveiller et les contrôler.
De nombreuses entraves sont mises à leurs missions, comme de les bloquer dans les ailes ou devant les grilles, dans des attentes interminables, au prétexte de « mouvements » divers interdisant toute circulation, ce qui est inacceptable et contraire à la loi. Ce peut être une mise au cachot, le déplacement d’un détenu dit dangereux, une sortie des détenus au préau ou aux visites, la distribution des repas, etc.
Cela va même plus loin lorsque certains agents pénitentiaires retirent des boîtes aux lettres de la Commission les rapports et demandes de visites des détenus ou les inondent d’un verre d’eau pour les rendre illisible.
Si certains agents sont d’une mauvaise volonté évidente et pénible, d’autres par contre interpellent le Commissaire du mois en lui demandant d’aller voir tel ou tel détenu en difficulté. Parfois, ce sont même les détenus qui l’invitent à aller voir d’initiative un autre détenu qu’ils savent aller très mal. Des demandent peuvent également émaner du personnel médical, des aumôniers ou même de l’extérieur, notamment des avocats.
9. Tous les membres des Commissions de surveillance qui commencent leur mission entrent dans un autre monde, un huis-clos inimaginable. Certains fréquentent la prison ou plus exactement les parloirs depuis de nombreuses années en ignorant totalement ce qui se passe derrière les grilles menant au « cellulaire ».
Là, le temps s’arrête, le détenu est tutoyé, humilié, brimé et réduit à moins que rien. Jusqu’à tout récemment, à la prison de Forest, maison d’arrêt pour inculpés présumés innocents, en détention préventive, un détenu a pu se retrouver, quels que soient son âge ou sa condition sociale, dans un « trio » sur un matelas par terre, comme dernier entrant. Dans les neuf mètres quarrés de sa cellule, ils étaient à trois à y passer 23 heures sur 24, y dormant, s’y lavant à un lavabo en mauvais état, mangeant, fumant, faisant leurs besoins sur une toilette, cachée par un paravent d’un mètre de haut, si ce n’est pas sur un seau hygiénique, dans les odeurs acres de fumée, d’excréments et de nourritures, dans le bruit assourdissant des discussions de ses codétenus et d’une télévision allumée en permanence. Une promiscuité où toute pudeur et toute dignité sont bannies.
10. Le Commissaire du mois qui vient rendre visite à un détenu dans un « trio », qui s’inquiète de savoir s’il ne dérange pas, vouvoie ses interlocuteurs et se préoccupe de leurs conditions de détention. Il y est accueilli avec une extrême gentillesse et a toutes les peines du monde à refuser la tasse de café ou les boissons que chacun s’empresse de vouloir lui offrir. Ces échanges privilégiés dans ces lieux de détresse sont des moments de grâce. Au cœur de l’enfer et de ce véritable cloaque, il y a parfois la possibilité d’apporter une bouffée d’oxygène, un peu d’air frais de l’extérieur.
11. Par ailleurs, l’article 133 de l’Arrêté Royal du 21 mai 1965 ‘portant règlement général des établissements pénitentiaires’, modifié par les arrêtés royaux du 4 avril 2003 et du 29 septembre 2005, institue un Conseil central de surveillance pénitentiaire, qui se compose de douze membres désignés par le Roi, dont au moins un membre de la magistrature assise, un avocat, un médecin et un criminologue.
Ils sont également bénévoles et indépendants tout en bénéficiant d’un secrétariat mis à leur disposition par le ministre de la Justice.
Le Conseil central de surveillance pénitentiaire a pour mission, aux termes de l’article 131, « 1° d’exercer un contrôle indépendant sur les prisons, sur le traitement réservé aux détenus et le respect des règles en la matière ; 2° de donner au Ministre, soit d’office, soit à sa demande et le cas échéant dans un délai fixé par lui, un avis sur l’administration des prisons et sur l’exécution des peines et mesures privatives de liberté ; 3° de rédiger un code de déontologie pour le fonctionnement tant du Conseil central que des Commissions de surveillance ; 4° de coordonner et de soutenir le fonctionnement des Commissions de surveillance et de veiller à ce que leurs activités se limitent aux missions qui leur sont confiées à l’article 138ter ; 5° de rédiger annuellement un rapport d’activité comprenant le rapport annuel des Commissions de surveillance, les avis du Conseil central ainsi que les conclusions et recommandations d’ordre général concernant les prisons, le traitement réservé aux détenus et le respect des règles en la matière ».
Il faut malheureusement constater que, depuis de nombreuses années, le Conseil central ne remplit pas ses obligations légales et on ne peut que déplorer, notamment, qu’il n’a plus rentré de rapport d’activité depuis 2011, année durant laquelle il a déposé un seul rapport pour les années 2008 à 2010.
12. Le Conseil des ministres a approuvé le 7 juillet 2016, sur proposition du Ministre de la Justice Koen Geens, l’avant-projet de loi, appelé « Pot-pourri IV », qui organise notamment le transfert des organes de surveillance, à savoir le Conseil central de surveillance et les Commissions de surveillance, au Parlement. Dans son communiqué de presse, le Gouvernement précise que « ces organes de surveillance recevront les moyens nécessaires par le biais d’une dotation parlementaire. Le Conseil central sera doté d’un bureau permanent et d’un secrétariat, afin d’assurer une direction et une coordination de niveau professionnel ».
On ne peut qu’espérer une professionnalisation de ces organes de surveillance et une réelle compétence de leurs membres. En tout cas, il est indispensable que les membres du bureau permanent et du secrétariat du Conseil central, de même que d’un bureau permanent et d’un secrétariat de chaque Commission de surveillance, soient des professionnels à temps plein et rémunérés en conséquence.
Il faut rappeler, en effet que la loi de principes du 12 janvier 2005 ‘concernant l’administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique (interne) des détenus’ contient un titre VIII (articles 147 à 166) qui prévoit l’exercice d’un droit de plainte contre toute décision, disciplinaire ou non, prise à leur égard par les directeurs de prison ou en leur nom, en leur permettant de s’adresser à une « Commission des plaintes », crée au sein de la Commission de surveillance de la prison, avec un recours possible contre les décisions de celle-ci auprès d’une « Commission d’appel du Conseil central ».
Ce droit de plainte est réclamé depuis de très nombreuses années par les détenus et leurs avocats. Les instances internationales, dont notamment le CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants), ont à de multiples reprises interpellé la Belgique sur l’absence de droit de plainte dans nos prisons. Les articles 147 à 166 du titre VIII de la loi du 12 janvier 2005 ne sont malheureusement toujours pas entrés en vigueur.
Par Réginald de Béco, le 5 septembre 2016.
Source : http://www.justice-en-ligne.be/article914.html