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Pour une digne réaffectation du Palais de Justice de Bruxelles

Le Fonds mondial pour les monuments (The World Monuments Fund, WMF) a placé le Palais de justice de Bruxelles sur sa liste bisannuelle des monuments les plus menacés du monde.

Qui l’aurait cru ? L’édifice le plus imposant de notre pays serait victime de sa taille énorme et son avenir ne pourrait être garanti que par une « réhabilitation totale ». En d’autres termes, nous avons besoin d’un vrai « plan de sauvetage », d’autant plus que, comme nous le savons, les échafaudages ne vont pas disparaître avant 2026 et que, dans l’intervalle, l’édifice continuera de se dégrader.

Le « master plan » existant pour le Palais de justice de Bruxelles, tel qu’il a été approuvé il y deux ans par le Conseil des ministres, est pour le moins décevant. Le Palais de justice conserverait ses activités judiciaires, mais seulement en matière civile. L’espace ainsi libéré deviendrait davantage accessible au grand public avec l’ouverture de sa coupole de 104 mètres.

Dans les étages inférieurs, à la hauteur des Marolles, des espaces seraient libérés pour l’horeca et des services commerciaux et culturels. Pire encore, il y aurait un centre commercial gigantesque comparable à la surface commerciale du Wijnegem Shopping Center.

Pourrions-nous laisser se passer une telle chose sans ouvrir un débat de société plus large ?

Lors de la première publication du master plan, j’évaluais comme positives l’attention accrue apportée au Palais de justice ainsi que son ouverture plus active envers les citoyens et les touristes. Il faut admettre cependant que le point de vue généralement adopté concernant l’avenir de l’édifice est tout sauf ambitieux.

Pourquoi ne choisissons-nous pas une réaffectation complète et ambitieuse du Palais de justice au service de la justice mondiale ? Une réaffectation qui nous offrirait l’occasion, sans précédent, de mettre la Belgique sur la carte du monde d’une façon positive, rappelant le rayonnement de notre Constitution, très progressiste, lors de la création du pays.

Le Palais de justice a été mis en service il y a 130 ans. À l’époque, il avait suscité beaucoup de critiques quant à son architecture de mastodonte, considéré comme beaucoup trop grand à l’échelle humaine. Ce n’est guère étonnant : le Palais de justice est plus grand que la Basilique Saint-Pierre à Rome ! La superficie bâtie est d’environ trois hectares et il y a presque 300 salles et locaux à l’intérieur.

Mais c’est précisément cette mégalomanie, inspirant de manière délibérée l’intimidation des justiciables selon la philosophie dominante au 19ème siècle, qui rend l’édifice si captivant et qui offre des opportunités pour un grand projet, totalement novateur.

La fonction symbolique du Palais

Mon appel à un master plan ambitieux va bien au-delà de ce qui est sur la table pour l’instant.

Au départ d’une vision d’avenir pour notre pays et d’un désir pour plus de justice dans le monde, je propose de donner une nouvelle fonction symbolique à l’ensemble de l’édifice, sans compromettre totalement la destination judiciaire d’origine.

Pas une justice pour intimider le citoyen, mais comme un défi positif lancé à notre société.

Nous pourrions en faire un espace dans lequel la justice comme élément essentiel de l’État de droit serait étudiée et mise en valeur, et ce dans un contexte historique, actuel et évolutif. Un espace où l’on pourrait mener un débat multidisciplinaire sur ces notions, entre autres d’un point de vue juridique, psychologique et philosophique. Un lieu de rencontre mondial ainsi qu’un point de référence tant pour les enfants que pour les adultes autour du thème de la justice. Pas seulement une justice punitive, mais surtout une justice préventive des excès criminels. Un espace justice où le visiteur serait constamment mis au défi de réfléchir à la justice.

Grâce à la taille du Palais, cela pourrait prendre plusieurs formes. On peut songer à une collection permanente d’œuvres d’art ayant comme sujet la justice (et il n’en manque pas, des classiques comme les Juges Intègres à la cathédrale Saint-Bavon de Gand ou le graffiteur contemporain Banksy), ainsi qu’à un centre de recherche international pourvu d’une riche collection d’ouvrages et de documents audiovisuels. Le débat pourrait encore être stimulé par des colloques internationaux et par des sessions interactives et – pourquoi pas ? – des jeux de rôles dans les nombreuses salles d’audience. Des écoles, universités et d’autres groupes d’Europe et du reste du monde pourraient en faire un but d’excursion captivante.

Une société qui vise davantage d’équité mérite un tel forum. Et tant Bruxelles que le Palais de justice sont donc symboliquement très bien situés, en raison à la fois de l’histoire de l’édifice et du rôle de Bruxelles en Europe.

Le Palais a été construit sur le Mont aux potences (« Galgenberg »), qui doit son nom funeste aux pendaisons des condamnés qui s’y déroulaient autrefois. Un peu plus loin, la Grand’ place a été également, pendant longtemps, la scène d’exécutions publiques.

Heureusement, notre point de vue sur la justice répressive a évolué au fil des années. La torture, la peine de mort, les procès de sorcellerie, l’humiliation publique et autres formes similaires de vengeance et de châtiment ne correspondent plus à notre État de droit moderne. Il y a toutefois encore trop de pays dans le monde qui, malheureusement, attendent cette évolution, comme en témoignent les images choquantes qui nous sont constamment présentées via les médias et internet. Chez nous également, notre justice est déficiente, sans parler des conditions inhumaines dans les prisons et autres établissements de détention. Personne n’osera donc affirmer que notre société a déjà atteint son apogée en matière de justice.

Cette justice est en constante évolution. Son Palais, conçu comme un véritable forum international, par les débats et les confrontations qu’il abriterait sur tous ces sujets, pourrait devenir un moteur pour accélérer cette évolution vers une meilleure justice dans le monde.

Pour citer un aphorisme souvent utilisé, Justice must not only be done, it must also be seen to be done : non seulement la justice doit être rendue, mais elle doit également être visible et tangible pout tous les citoyens.

Vers un Museum district ?

Dans un pays comme le nôtre, où de nombreux intérêts politiques et autres entrent en conflit, ce plan se veut extrêmement ambitieux. Mais, avec de la volonté et de l’enthousiasme, il est réalisable.

Une date cible réaliste serait celle de 2030, date du 200ème anniversaire de la Belgique, coïncidant également à la période où les travaux de rénovation du Palais de Justice seraient enfin derrière nous.

Le rayonnement international de Bruxelles en serait accru. Même les touristes y trouveront leur compte, avec un vrai « museum district » de la place Poelaert à la place Royale. L’espace public autour du Palais de justice pourra enfin être revalorisé et devenir une vraie référence dans le paysage urbain, un lieu public avec une vue sur la ville où les gens aiment se rencontrer, ce qui certainement manque un peu à Bruxelles en comparaison avec d’autres métropoles.

Ce plan pourrait constituer enfin une opportunité pour les communautés de Belgique de se réunir plus solidement derrière le seul pouvoir fédéral qui reste de la trias politica (les trois pouvoirs) : la justice.

En plus de cela, un prolongement international du projet pourrait se concevoir : au niveau du Benelux, mais aussi avec La Haye, où est établie la Cour internationale de Justice, ou encore avec Strasbourg, point d’attache de la Cour européenne des droits de l’homme.

Pour une ville qui devrait être la capitale de l’Union européenne, ce projet ne peut être qualifié de trop ambitieux.

Par Geert Somers


Source : Justice en ligne